C’est une telle bénédiction d’avoir une caravane. Hier, j’ai demandé à un enfant de 9 ans de ma communauté, qui venait de regarder le film : » Le Grand voyage d’Ibn Batouta – de Tanger à la Mecque » (“Journey to Mekka”, version anglaise), quel serait l’équivalent de la caravane qu’il a vue dans le film dans nos vies aujourd’hui, et ce sans aucune suggestion de ma part, il me répondit : « la communauté ». C’était très réconfortant de l’entendre dire cela.
Je prie pour nos enfants afin que cette communauté demeure. Que tout ce qui est bon dans la communauté ne soit pas déformé et dépeint comme quelque chose d’inutile ou de malsain par les paradigmes modernes qui placent l’individu au sommet. Une autre personne à qui j’ai parlé du film a mentionné cela : « Quand j’ai vu Ibn Batouta faire son chemin tout seul, je me suis dit qu’il y avait quelque chose qui n’allait pas. Même moi, je sais qu’on ne peut pas traverser le désert seul sans guide. Mais je me suis dit que c’était peut-être pour cela qu’il était si célèbre – parce qu’il l’a fait seul ? Et puis quand il a eu un guide, je me suis dit, maintenant, c’est plus logique. Et puis quand il a eu une caravane, je me suis dit, oui, maintenant c’est vraiment logique ». Nous avons parlé longuement de ce qui fait de cette histoire une histoire vraiment « musulmane » – du fait qu’il ne s’agit pas d’une personne qui arrive seule à la grandeur. Que l’histoire d’une personne qui parvient à accomplir quelque chose en vertu de sa propre grandeur relève d’un autre paradigme – pas le nôtre. Et même là, cette histoire de grandeur individuelle n’est racontée qu’en excluant les enseignants, les parents, les collègues, les employés et le conjoint. La communauté est présentée comme un simple bruit de fond, afin que l’individu puisse occuper le devant de la scène.
Notre histoire en tant que musulmans est celle d’un voyage commun. La communauté, c’est la caravane. Notre histoire en tant que musulmans est celle de notre capacité à arriver à notre destination UNIQUEMENT parce que nous avons écouté un guide, fait confiance à ses instructions et voyagé avec d’autres voyageurs. Regardez le film si vous ne me croyez pas – c’est aussi clair que ça.
La communauté, les relations et notre paradigme musulman ont pris un réel coup ces derniers temps. Au début du Corona, une horrible vidéo a été produite par une organisation dirigée par des musulmans à Singapour, dans laquelle les gestes innocents qu’une personne effectue en entrant dans le masjid – comme saluer les autres avec respect – ont tous été présentés comme étant des causes de maladie. Des effets visuels ont été ajoutés pour donner l’impression qu’embrasser la main d’un aîné était une chose dégoûtante, et le sujud a été recouvert de particules de virus pour lui donner un aspect dangereux et effrayant. Et même si c’était, et c’est peut-être encore, la tendance du moment dans l’attitude des gens face à ce virus et ses causes une personne consciente de l’attaque déjà existante contre nos traditions ne peut s’empêcher de s’inquiéter de voir ces actions toutes redéfinies comme dangereuses et négatives ; de telles images ont un impact durable sur le psychisme. C’est une chose de l’entendre dire, ou de le lire dans le contexte d’autres actions qui sont présentées comme propageant le virus, mais c’est une toute autre chose de se concentrer sur les traditions de notre foi et de les dépeindre, exclusivement, sous un jour aussi négatif. Si seulement de telles vidéos étaient réalisées en montrant de manière créative – avec tous les effets visuels – la libération et la propagation de la barakah qui a lieu avec chacune de ces actions… Il est peut-être trop tard pour suggérer une telle possibilité.
L’Apôtre de Dieu fut interrogé : » Ô Apôtre de Dieu, quelles sont les personnes les plus aimées de Dieu et quelles sont les actions les plus aimées de Dieu ? Il répondit : « Les personnes les plus aimées de Dieu sont celles qui sont les plus bénéfiques pour les autres; et l’action la plus aimée de Dieu est de rendre un musulman heureux, ou de lui enlever un de ses soucis, ou de remplir sa dette, ou d’apaiser sa faim.”
Il n’y a pas de plus grande lutte à mener dans le monde de nos jours, à mon avis, que la création d’une communauté. C’est la Sunnah de l’apôtre bien-aimé, le dernier guide envoyé à l’humanité, que la lumière de Dieu continue de nourrir son âme et notre connexion à lui, que la communauté soit construite. Et s’il a connu de grandes épreuves et de grandes difficultés – avant Médine et même après, alors nous ne devons jamais nous plaindre des défis. En effet, nous oublions souvent que même au sein de la plus merveilleuse des communautés, il y avait des hypocrites qui refusaient de voir le bien et de boire aux coupes de joie et de conseils qui leur étaient offerts. Je pense que nous oublions ce que cela a dû être – construire une communauté et avoir dans nos propres rangs des gens qui travaillent contre nous, ainsi que des gens de l’extérieur qui travaillent contre vous.
Et parce que c’est difficile, et parce que cela comporte de si grands risques et coûts, cela porte aussi des fruits incomparables. Je vous encourage tous à regarder le film « Journey to Makkah » pour voir combien ce voyage a été difficile. C’était dur même dans la caravane, mais c’était mortel en dehors de la caravane. Nous avons besoin de compagnie, nous avons besoin de communauté, pour traverser cette vie et atteindre notre destination : Le Sanctuaire de Dieu. La communauté, comme la caravane, nous protège et nous encourage. Nous sommes capables de suivre le guide devant nous lorsque nous pouvons nous accrocher les uns aux autres.
Le Hajj nous rappelle ce besoin mutuel. Ce n’est pas une expérience individuelle et privée – c’est une expérience au cours de laquelle on passe du temps avec d’autres personnes en dévotion à Dieu. Lorsque vous êtes au Hajj, chaque fois que vous souhaitez vous tourner vers Dieu, vous trouvez d’autres personnes autour de vous – certaines se tournant vers Dieu, d’autres luttant pour se tourner complètement, mais toutes à côté de vous – vous ne pouvez pas les éviter. Votre défi n’est pas seulement de vous tourner vers Dieu dans les lignes bien définies de la ibada pour laquelle vous êtes là, mais de vous tourner vers Lui même lorsque les lignes s’estompent et se brouillent. Votre adoration se trouve dans le frottement des épaules avec les autres. La façon dont vous devez vous y engager est alors de les regarder et d’y voir Sa création ; d’être bousculé par eux et de continuer à les considérer meilleurs que vous ; d’être bousculé par eux dès la sortie d’un espace, et de continuer à garder votre haute opinion de ces hôtes de Dieu. Vous ne pouvez pas échapper à cette communauté dont vous vous rendez soudain compte que vous en faites partie d’une manière très viscérale et souvent stimulante. Il est si facile de romancer la notion d’une seule Oumma harmonieuse, depuis une tour d’ivoire ou la zone de confort de votre propre vie quotidienne – mais c’est tout autre chose de la voir se précipiter dans votre espace personnel et de devoir accepter cela – et ceci afin que votre propre Hajj soit accepté. Cet aspect communautaire du Hajj est peut-être l’une des raisons pour lesquelles une de mes grandes enseignantes, lorsqu’elle nous enseignait la manière d’être pendant les jours saints de Dhul Hijjah, nous a donné ce secret : ce sont les jours de « jabr al khaatir » : les jours pour prendre soin des sentiments des gens et les faire se sentir bien. De prendre le téléphone et d’appeler cet ami qui apprécie tant d’entendre votre voix ; d’inviter une personne que vous avez négligée et à laquelle vous n’avez pas prêté attention depuis un certain temps ; de réparer certains coeurs que vous auriez blessés ; de rendre visite à un aîné ou de lui apporter tout simplement un repas ; de rendre service et de trouver des moyens de réconforter et d’encourager les autres.
C’est drôle que nous soyons si nombreux à croire que pour devenir saints, nous devons nous retrouver seuls. Quelqu’un que je connais m’a demandé si elle devait annuler ses séances de mentorat avec les jeunes pendant ces journées de Dhul Hijjah, parce que les jeunes devraient comprendre que ces journées ne sont pas faites pour socialiser. Cela m’a vraiment fait réfléchir… Toutes les socialisations ne sont pas mauvaises. En effet, la socialisation est une façon d’exprimer l’attention et l’empathie, et d’apprendre à connaître les besoins des autres. Elle ne doit pas être considérée comme une perte de temps ou comme une action moins sacrée que les autres.
« Marcher pour répondre à un besoin de mon frère musulman est plus aimable pour moi que de rester assis en i’tikaf dans un masjid pendant deux mois. Quiconque évite sa colère, Dieu dissimulera ses fautes et quiconque réprime sa colère alors qu’il est capable de l’évacuer, Dieu remplira son cœur de bonheur. Quiconque marche avec son frère pour satisfaire son besoin et le satisfait pour lui, alors Dieu affermira son pied le jour où le pied d’une personne est ébranlé. Le mauvais caractère gâche les actions d’une personne tout comme le vinaigre gâche le miel ». – Paroles de l’Apôtre de Dieu, que la lumière de Dieu continue à nourrir son être et notre connexion à lui.
Et que deviennent les jeunes, les personnes âgées, les malades, les autres – si les personnes qui sont conscientes de la valeur de ces jours décident de retirer leurs attentions et leur service pendant ce temps ? Qu’est-ce que cela signifie pour notre conception du bien avec Dieu ? Si ces jours-là sont ceux où les actes que nous accomplissons sont les plus aimés de Dieu, alors pourquoi ne pas faire en sorte que les autres se sentent bien en interagissant et en socialisant avec eux de manière positive ?
L’Apôtre de Dieu fut interrogé : » Ô Apôtre de Dieu, quelles sont les personnes les plus aimées de Dieu et quelles sont les actions les plus aimées de Dieu ? Il répondit : « Les personnes les plus aimées de Dieu sont celles qui sont les plus bénéfiques pour les autres; et l’action la plus aimée de Dieu est de rendre un musulman heureux, ou de lui enlever un de ses soucis, ou de remplir sa dette, ou d’apaiser sa faim.”
La vérité, c’est que nous sommes une caravane. Et dans la caravane, certaines relations sociales, certaines interactions, nous mènent à Lui, parce qu’elles nous amènent à faire passer les autres avant nous-mêmes. Lorsque vous voyagez, réconforter votre compagnon de voyage et partager l’eau et la nourriture n’est rien d’autre que de la pure bonté.
Il est plus difficile aujourd’hui que jamais de convaincre les gens que la communauté est importante, mais c’est le cas. C’est l’un des derniers héritages vivants de notre Apôtre et Guide Bien-Aimé, que la lumière de Dieu continue à nourrir son être et notre connexion à lui. Alors que nous voyons les gens autour de nous s’isoler encore davantage les uns des autres, nous devons être les gardiens de ce que représente la communauté et de son importance, afin de pouvoir l’offrir aux autres lorsque l’expérience de l’individualisme aura fait son temps et que les dégâts seront évidents. Les communautés seront nécessaires en tant que lieux de rétablissement et de redécouverte de la recette la plus saine à suivre pour le bonheur et l’épanouissement.
En tant que croyants, nous devons continuer de rappeler à nous-mêmes et aux autres que s’occuper les uns des autres, s’aider mutuellement à marcher dans le désert, se montrer gentil, patient, enclin à pardonner sont des conditions essentielles à notre foi et à notre croissance. Nous commençons à cheminer le jour où nous nous engageons à ignorer les fautes des autres, à nous accepter les uns les autres, à être élevés et dirigés vers l’avant par un guide et un chef, et à nous encourager les uns les autres à garder le cap. L’Islam n’a jamais été un projet à mener tout seul (DIY), et le désert ne doit pas être traversé seul.
C’est seulement en communauté, dans la caravane, que nous arriverons à Médine. Et nous avons besoin de Médine.
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