L’autre jour, j’ai rencontré un des piliers de notre communauté et je lui ai mentionné en passant que son cousin s’était inscrit au programme du Ramadan que nous proposons en ligne cette année, « The Fellowship of the King » : Renforcez l’esprit de votre guerrier intérieur. » J’ai dit, en guise d’explication : « Vous savez, c’est un programme pour aider les gens à rester connectés et motivés étant donné qu’ils ne peuvent pas fréquenter les mosquées pendant tout le Ramadan et que cela peut peser lourdement sur tant de personnes. »
Il m’a répondu :
« Tu sais ma soeur, s’il y a une chose que toute cette histoire de quarantaine m’a montré… »
à ce moment là, je m’attendais à ce qu’il dise : en réalité, tout ce dont nous avons vraiment besoin c’est d’être seul avec Dieu, ou du moins quelque chose dans ce sens. C’est un saint. Vraiment. C’est un homme peu bavard, heureux d’être seul avec Dieu, même quand il est avec d’autres personnes, il est surtout calme et profondément contemplatif. Toutefois, il est un formidable serviteur de son prochain, toujours occupé à rendre service, que ce soit en construisant des hangars, en posant des tapis, en réparant des cloisons ou en faisant la vaisselle.
Il a poursuivi : «…c’est qu’il est beaucoup plus facile de parcourir le Chemin les uns avec les autres, plutôt que seul. » J’ai été stupéfaite. J’ai entendu tant de gens dire le contraire, dire que tout est comme il devrait être, que le Ramadan est pour vous et Dieu de toute façon, pas pour vous et les gens, et pourtant voici une personne qui aurait vraiment PU dire ces choses, dire le contraire.
Je n’ai pas pu m’empêcher de lui répondre : « Vraiment ? »Et il m’a répondu :
« Oui, nous avons besoin d’une communauté, nous devons voyager ensemble. Ça n’a jamais censé être une entreprise solitaire, cette foi. »
C’est un des succès de satan de nous faire croire que nous n’avons pas besoin de la jama’a (le groupe). Au contraire, nous avons besoin de compagnons sur le Chemin ».
Je me suis sentie réconfortée d’entendre cela, de la part d’un saint. Nous avons véritablement besoin d’une communauté.
Être un « bon musulman », ce n’est pas seulement lire les Écritures Saintes et prier à l’heure. C’est faire partie de quelque chose de plus grand que soi, d’une famille au-delà de son unité nucléaire, et y contribuer.
MON BOL DE SOUPE EN SOLITAIRE
Le lendemain, je me sentais tellement vidée de mes forces que je ne pouvais même pas cuisiner – non pas parce que je n’avais pas le temps ou les ingrédients. Mais parce que ce serait du gaspillage de cuisiner : chaque soir, mes sœurs bien-aimées de la Rhoda envoient de la nourriture ; tout le monde envoie des plats à tout le monde – ce qui est une chose merveilleuse – au final, nous finissons tous par avoir tellement de nourriture que nous ne savons plus quoi en faire. Notre cercle est devenu si restreint – et nous n’avons aucun moyen d’atteindre les nombreuses personnes avec lesquelles nous avions l’habitude de partager cette nourriture à chaque Ramadan…
L’année dernière et tous les deux ans, nos soupes et nos plats étaient accueillis dans les iftars de la communauté de la Rhoda – où environ 75 à 100 personnes se présentaient chaque jour. Elles n’avaient même pas besoin de s’inscrire ni même de se présenter. Tout le monde était le bienvenu. Nous avions des gens qui venaient de l’extérieur de la ville, des gens de l’autre côté de la rue où il y avait un foyer pour les personnes assistées, des gens qui étaient musulmans et d’autres qui ne l’étaient pas, des gens de tous âges et de toutes origines. Nos frères et sœurs convertis pouvaient inviter leurs parents et amis. Nous organisions chaque semaine des événements spéciaux ouverts à tous, et les personnes non musulmanes venaient passer la soirée avec nous – et beaucoup restaient pour prier et se recueillir avec nous.
Chaque soir du Ramadan la Rhoda nous offrait un régal de ses propres saveurs de personnalités et d’expressions d’être – quelle merveille de voir tant de types de personnes différentes, chacune nous apprenant à faire une nouvelle place dans notre cœur. Et je ne saurais vous décrire la satisfaction de pouvoir verser de la nourriture dans leurs bols.
Hier soir, vers 18 heures, Assma, une des membres du conseil d’administration de la Rhoda, est venue chez moi pour me remettre de la nourriture d’une des tantes de la Rhoda, Tante Ruhee. « Tante Ruhee n’arrêtait pas de me dire : s’il te plaît, pour qui puis-je cuisiner – si quelqu’un veut bien me le dire. Je meurs d’envie de nourrir quelqu’un pendant le Ramadan – s’il te plaît, dis-le moi. » Et je me suis rendu compte que je ressens le même sentiment de perte…
Partager la nourriture est une opportunité de devenir un meilleur être humain. Le partage de la nourriture est le fondement des relations dans le monde que nous souhaitons voir en tant que personnes de foi. Partager un plat ensemble est un aspect fondamental de la vie des musulmans. C’est un élément intrinsèque de notre héritage. Et j’ai peur que nous nous en séparions trop facilement. C’est ainsi que les gens sont affaiblis – quand ils perdent leurs traditions d’ancrage.
UNE TRADITION MENACÉE
J’ai pensé à la façon dont Tante Ruhee cuisinait les spécialités et les apportait à la Rhoda tous les soirs, et à la façon dont elle me demandait si j’avais aimé ce qu’elle faisait ou pas. Je savais qu’elle me regardait quand je goûtais ses pakoras, et qu’elle attendait mon avis. J’ai pensé à Tante Naseem et à Tante Farida, qui apportaient également leurs spécialités et choisissaient les meilleurs morceaux pour moi. J’ai pensé à cet amour qui s’exprime dans leur cuisine.
J’ai pensé aux boîtes de dattes qui, à chaque Ramadan, commençaient à arriver quelques jours plus tôt, dans l’attente de recevoir le mois spécial. J’ai pensé à la sœur qui nous livrait des paquets de nourriture deux fois par mois, et à l’homme que nous ne verrions qu’au Ramadan – entrant avant le coucher du soleil avec une grande assiette de spécialité de mantoue afghane tenue bien au-dessus de sa tête – et puis repartant, une fois la livraison terminée. Je pensais au membre le plus pauvre de notre communauté qui venait quelques fois par mois avec des sacs de lait à partager. Tous, inspirés et portés par la promesse prophétique que nourrir une personne qui jeûne équivaut à partager la bénédiction de son jeûne.
Lorsque le Prophète (que Dieu continue de nourrir son être, sa lumière et notre connexion à lui) est arrivé pour la première fois à Médine, l’endroit qui allait devenir le modèle parfait de société, il s’est adressé au peuple et lui a donné ce conseil simple mais profond : « Partagez la nourriture. »
Partager la nourriture est une opportunité de devenir un meilleur être humain. Le partage de la nourriture est le fondement des relations dans le monde que nous souhaitons voir en tant que personnes de foi. Partager un plat ensemble est un aspect fondamental de la vie des musulmans. C’est un élément intrinsèque de notre héritage. Et j’ai peur que nous nous en séparions trop facilement. C’est ainsi que les gens sont affaiblis – quand ils perdent leurs traditions d’ancrage.
UNE PLATEFORME DE PARTAGE
Comment pouvons-nous répondre à ce noble appel au partage de la nourriture si nous n’avons pas de récipient pour le faire ? Même si nous envoyons de la nourriture ces jours-ci aux personnes vulnérables de la Rhoda, il y en a beaucoup que nous n’atteignons pas. Le Ramadan était l’époque où la mosquée était remplie de gens que nous n’avions jamais vus auparavant – des musulmans qui fréquentaient plus la mosquée durant Ramadan, des étudiants seuls, des nouveaux arrivants, des personnes fraîchement divorcées et veuves, des nouveaux musulmans et aussi des personnes non musulmanes – tous ceux qui trouvaient de la famille en dînant à la mosquée. Je ressens profondément la perte de ne pas pouvoir accueillir les gens dans la Maison de Dieu et les inviter à Sa Table cette année.
Hier soir, j’ai essayé de convaincre mon mari d’envoyer de la nourriture pour notre voisin, mais il a répondu : « Je ne sais pas comment elle sera reçue. » J’ai dit : « tu veux dire… ? » Mon coeur a lâché. Pourtant, je sais que c’est vrai. Je me suis moi-même retenue d’envoyer de la nourriture à l’un de nos chers amis voisins au début de ce mois, craignant la possibilité que s’il tombait malade par la suite, on puisse remonter jusqu’à ma soupe. Rechercher à remonter la piste de la contagion semble être la préoccupation du moment.
C’est cette prise de conscience qui me motive à me lever chaque matin pour vous partager combien nous avons besoin que vous reconnaissiez que la communauté représente un service essentiel.
MESURES TEMPORAIRES OU NOUVELLES NORMES ?
Hier, ça m’a vraiment frappé. Cette quarantaine m’a montré que pour être le musulman que le Prophète nous appelle à être, nous avons besoin d’une communauté. C’est cette prise de conscience qui me motive à me lever chaque matin pour vous partager combien nous avons besoin que vous reconnaissiez que la communauté représente un service essentiel. Je ne veux pas que nous la considérions simplement comme un extra ou un bien à consommer.
C’est pourquoi je continue à essayer de vous montrer ce qu’est la communauté, et ce qu’elle apporte de bon !
Je sais que ça représente un défi si vous n’avez jamais fait l’expérience d’une telle communauté, mais dès que vous le pouvez, je vous invite à venir passer un peu de temps dans ma communauté. Je veux que vous puissiez franchir les portes avec un plat chaud à la main prêt à être partagé, tout en ressentant ce que cela représente. Sentez ce que c’est que de voir votre nourriture mangée par vos sœurs et frères en humanité… cela vous fera quelque chose !
Je souhaiterais tellement que vous puissiez voir à quel point le développement communautaire EST au cœur-même du développement et de l’épanouissement spirituel. Être un « bon musulman », ce n’est pas seulement lire les Écritures Saintes et prier à l’heure. C’est faire partie de quelque chose de plus grand que soi, d’une famille au-delà de son unité nucléaire, et y contribuer.
Comme on dit à la Rhoda : « La vie n’est pas un DIY » (un Do It Yourself, un projet de bricolage à faire soi-même) ».
Voici donc la demande que je vous adresse aujourd’hui : donnez un peu pour que, lorsque tout cela sera terminé, il y ait encore de la place pour la communauté. Je sais que les temps sont durs pour beaucoup, et que nos cercles sont affaiblis par le manque de force – car nous sommes poussés à rester isolés chacun dans nos bulles – mais continuons à essayer parce que nous devons nous battre pour les structures qui font jaillir et grandir la foi.
Continuons d’essayer parce que lorsque tout cela sera terminé, nous aurons besoin d’endroits où nous pourrons nourrir et être nourris.
Et pour ces raisons, nous devons rester vigilants face à une « nouvelle norme » qui préférerait nous voir séparés, au détriment de la sauvegarde de la vie communautaire.
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